Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Myshelf

Disparu

29 Juillet 2015, 06:54am

Publié par Narcipat

QUINZE

 

DISPARU

 

Du côté ouest de Saint Louis, Missouri s’étend le Forest Park, où l’on peut visiter le zoo de Saint Louis, ainsi que son Musée d’Art, qui abrite une des plus remarquables collections au monde de tableaux expressionnistes allemands. Ailleurs dans le parc, on trouve des sentiers agréables, un centre éducatif, et un terrain de jeux pour enfants, avec balançoires, toboggans, et un manège.

Par un matin étouffant de juillet 1987, Axel Sawyer était assis sur un banc avec les autres parents, feuilletant distraitement son journal, pendant que les enfants jouaient à quelques mètres de là. Sur le banc adjacent un homme essayait d’écarter une abeille qui voletait trop près de sa tête. Elle s’échappa, et vint bourdonner aux oreilles d’Axel, qui la frappa de son journal. Il jeta un coup d’œil à l’autre homme, sourit, puis reporta ses yeux vers le terrain de jeux. Son sourire s’effaça. Son regard alla des balançoires aux toboggans, puis au manège.

« David? »

Axel se leva, lâchant son journal.

« David? »

Il courut aux balançoires, regarda derrière un espace d’escalade, puis revint à son banc en courant.

« Mon petit garçon », dit-il. Quelques visages d’adultes inquiets se tournèrent vers lui. « David, mon petit garçon… il est parti. »

Une recherche s’improvisa. Axel, trois autres pères et quatre mères se répartirent dans tout le parc, criant le nom de David. Une femme demanda à quoi il ressemblait, et Axel le lui dit : cheveux clairs, grands yeux bleus, un garçonnet de quatre ans en jeans, avec un T-shirt vert. La description se répandit parmi ceux qui participaient à la recherche, et d’autres se joignirent à eux. Au bout de dix minutes, quelqu’un suggéra d’alerter la police.

Une battue d’une heure dans le parc, effectuée par des parents, l’équipe de surveillance et des policiers, ne permit pas de retrouver le petit David Sawyer. Ils fouillèrent le parc et les rues environnantes, par deux fois, et quand la police lui dit qu’il fallait traiter l’affaire comme un enlèvement, Axel resta debout à assimiler le message, puis s’effondra en larmes.

« Ce que je ne peux pas encaisser », dit-il à une policière, au poste, « c’est la façon dont tout a si bien commencé. Une si jolie matinée, un jour parfait pour aller au parc. Un seul mauvais moment a tout changé : si je l’avais amené plus tard, ou plus tôt, ou peut-être si je l’avais davantage surveillé, le jour serait resté merveilleux, la vie serait restée impeccable, au lieu de… ça. »

La policière lui dit qu’il était naturel qu’il s’accuse, et tout autant qu’il raisonne en termes de “que se serait-il passé si?…” Il devait essayer de garder une bonne attitude, s’agripper à la pensée que la police et les auxiliaires étaient là à chercher partout le petit David. Pendant quoi, Axel pouvait apporter de l’aide en  leur fournissant quelques détails.

Il avait 27 ans, leur dit-il, était actuellement sans emploi, mais avec de bonnes perspectives, parce qu’il était un excellent charpentier. Sa femme Denise était chez sa mère, à Kansas-City, parce que la vieille dame était asthmatique, et avait eu une mauvais passe trois ou quatre jours plus tôt. Axel s’occupait seul de leur fils unique David, parce que Denise ne pouvait pas l’emmener avec elle au Kansas. Sa belle-mère n’aimait pas les enfants jeunes, qui selon elle faisaient toujours du bruit et du désordre, et aggravaient encore son asthme.

Plus tard dans la journée, David restant toujours introuvable, trois policiers accompagnèrent Axel Sawyer chez lui.

« Vous ne devez pas vous en offenser », lui dit l’inspecteur Murray Busch. « Il nous faut éliminer tous les possibles, et l’un d’eux le sera pour de bon lorsque nous aurons fouillé la maison. Vous comprenez, n’est-ce pas? »

Axel dit que oui, il comprenait qu’ils devaient supposer le pire de n’importe qui, et partir de là.

« La maison était assez bien rangée », dit plus tard Murray Busch. « Elle était propre aussi, je suppose, bien qu’elle nous ait donné l’impression générale que les Sawyer ne se souciaient pas beaucoup de leur logement. Il avait une espèce d’aspect miteux. Un de mes subordonnés à trouvé les couches du gosse dans un seau de lavage, et ça l’a surpris que cet enfant, à quatre ans, utilise encore des couches. L’odeur d’ammoniaque, quand il a soulevé le couvercle du seau, était plutôt forte, aussi. Mais il fallait nous rappeler qu’il s’agissait d’un mec s’occupant tout seul d’un gamin : ils n’ont pas les instincts des femmes, ils ne savent pas mettre en place les routines adéquates. »

On ne trouva aucune trace de l’enfant dans la maison. En sortant, l’inspecteur Busch vit une femme les regarder depuis une maison voisine, et il s’arrêta pour discuter avec elle. Il lui demanda si elle connaissait les Sawyer et leur petit garçon. Pour ça, oui, dit-elle, elle les connaissait. Le petit garçon, David, était une espèce de pleurnichard pour son âge, mais ce n’était pas anormal, supposait-elle, avec une mère de ce genre.

« De quel genre? » demanda Busch.

« Dominatrice », dit la femme. « Elle n’est pas cruelle avec l’enfant ou quoi que ce soit, mais elle lui crie dessus beaucoup trop, et elle crie sur son mari à temps complet. Il est tout à fait soumis, cet Axel, mais vous ne répéterez pas que je vous l’ai dit, hein? »

Busch promit de garder l’information pour lui.

« Quand je suis revenu au poste, je me suis assis dans un coin pour réfléchir un moment à l’affaire », dit Busch, « et il m’a semblé que nous aurions une image plus claire de cette maisonnée si la science nous donnait son point de vue. J’ai appelé les Services Légaux, et leur ai demandé si une équipe pouvait venir et tout passer au peigne fin. Puis j’ai appelé Axel et lui ai dit que les hommes en blanc allaient venir, mais qu’il ne devait pas se faire de mouron pour ça, c’était juste la routine. »

Mais Axel se fit du mouron, et il se présenta au poste le lendemain matin pour demander de quoi ils le croyaient coupable. Il y avait des gens occupés à tamiser la poussière sur son plancher, dit-il à une policière, d’autres qui prélevaient des échantillons d’eau dans le seau à lessive, ou qui aspiraient des matières dans les canalisations de l’évier. Que diable se passait-il donc?

« Si vous voulez m’accuser de quelque chose, alors faites-le, de grâce, mais cessez de tourner autour du pot en cachant ce que vous avez vraiment en tête. »

Quand Busch se montra, Axel se jeta sur lui, et exigea d’apprendre ce qui avait incité à un examen aussi détaillé de sa maison. Il voulait aussi savoir si l’on dépensait une égale dose d’énergie à chercher son fils.

« À ce moment-là, j’ai réellement commencé à penser que quelque chose n’allait pas », dit Busch. « Voilà donc un homme qu’on m’avait dit soumis, qui tonnait comme un sergent instructeur, et qui refusait d’accepter une procédure policière standard d’élimination de suspect. J’ai vu des tas de gens soucieux dans des circonstances similaires, j’en ai vu se mettre en boule, mais par comme ça.

Primo, le niveau de colère ne semblait pas en rapport avec la personnalité d’Axel. Secundo, il manifestait de la colère et rien d’autre : pas d’anxiété, pas un signe de souci. J’avais l’impression, me semble-t-il, d’assister à la prestation de quelqu’un qui ne s’y était jamais essayé auparavant, d’un gars qui avait dû faire beaucoup de répétitions avant de tenter le coup en public. »

Denise Sawyer revint à Saint Louis vingt-quatre heures après la disparition de son fils. Elle manifesta tous les symptômes de maternité inquiète, et, alors que son époux n’avait fait qu’exhaler des plaintes aux policiers, Denise hurla sa peur, son angoisse, et son manque de foi en leur action.

« Mon enfant a disparu! » cria-t-elle à Busch, comme s’il ne l’avait pas su. « On l’a enlevé! Qu’est-ce que vous faites pour y remédier? Pouvez-vous imaginer l’effet que ça fait? Tout ce que j’imagine à son sujet me terrifie, je ne peux même pas me peindre son petit visage sans penser que quelqu’un lui fait quelque chose d’horrible! »

Busch fit de son mieux question diplomatie, et introduisit dans l’affaire une policière expérimentée, chargée d’endiguer la détresse de Denise Sawyer. Il nota aussi que tout au long de la mercuriale de sa femme, David était resté planté, silencieux, hochant la tête pour marquer son accord, osant à peine proférer un son.

« La voisine avait raison », dit Busch. « Axel était infantilisé. J’étais à présent convaincu que sa colère était une couverture pour quelque chose que je ne voulais pas définir avec trop de précision, du moins à ce stade. »

Busch s’entretint avec les scientifiques. Ils lui dirent que les résultats des tests n’étaient pas encore arrivés, mais qu’ils pouvaient lui faire part d’un ou deux faits troublants. Pour commencer, les excréments et l’urine présents sur les couches du seau dataient de plusieurs jours. Ils n’avaient pu mettre la main sur aucune couche souillée plus récemment. Ils avaient recueilli dans les canalisations des traces de céréales spéciales bébé et autres nourritures évidemment pour enfant, mais elles aussi dataient de plusieurs jours.

« Le petit David usait encore d’un biberon », dit un chimiste. « Nous en avons trouvé deux, nettoyés, et un qui contenait des traces de lait, sur la table de chevet de David. Le lait avait plusieurs jours. Bref, nous n’avons pu découvrir la moindre trace datant de moins de quatre jours, au minimum trois. »

« Et nous avons une suggestion à faire », dit un technicien. « Vous pourriez jeter un coup d’œil aux bandes de sécurité des caméras situées autour du musée de Forest Park. »

Busch ignorait qu’il y eût des caméras de sécurité à cet endroit. Et les autres policiers de son équipe l’ignoraient également.

« C’est une condition pour que l’assurance assure une couverture », dit le technicien. « À strictement parler, elles sont destinées à surveiller les entrées, les sorties et une partie du périmètre, mais j’ai jeté un coup d’œil hier en rentrant chez moi : une des caméras n’observe pas un angle aussi raide que les autres. Je parierais qu’elle donne pile sur le terrain de jeux.

– Que pensez-vous que je pourrais trouver, en regardant ces bandes? » demanda Busch.

« Ce que vous ne trouverez pas, je le parierais », dit le technicien, « c’est l’image du jeune David Sawyer. »

Busch se rendit au musée plus tard dans la journée, et on lui dit que la caméra 6, celle qui avait une plus large ouverture de champ que les autres, incluait le terrain de jeux. Ce n’était pas une disposition intentionnelle : la caméra s’était décalée pendant des travaux sur le gros œuvre, et il était prévu de la repositionner, mais ça ne revêtait aucun caractère d’urgence, l’administration estimant qu’il n’y avait déjà que trop de caméras pour surveiller les abords du musée.

Les bandes de la caméra 6 pour le jour où David Sawyer était censé avoir disparu furent repérées : Busch et deux autres policiers s’installèrent dans une salle vidéo pour les visionner.

« C’est toujours un travail monotone », dit Busch. « Nous avons regardé des gens qui entraient et sortaient, depuis l’ouverture des grilles. Nous avons même vu un pédophile connu traîner autour des balançoires, mais il s’était éclipsé quand un gardien à l’aspect belliqueux s’était arrêté pour le fixer des yeux. »

« Nous avons vu les parents apparaître peu à peu, par couples et formant des groupuscules avec leur progéniture. Ça s’est poursuivi plus d’une heure, et j’étais tenté par une avance rapide, mais il était important de ne rien manquer.

À 11h28, d’après l’horloge numérique de la bande, nous avons vu apparaître Axel Sawyer. Nous avons fait remonter la bande jusqu’avant son apparition dans l’objectif, à la grille principale, puis nous avons avancé de nouveau. Il était absolument seul. Nous l’avons regardé se diriger lentement vers le terrain de jeux, rasant la haie, et se glisser au bout d’un banc, s’insérant dans le cadre sans attirer l’attention.

Nous étions là à le regarder jouer sa pièce, se lancer dans sa mascarade, jouer son rôle de père angoissé. Cette fripouille avait obtenu qu’un tas de gens viennent à sa rescousse, en courant frénétiquement en tous sens, alors qu’il n’y avait jamais eu là le moindre enfant. »

En attendant le reste des observations de l’équipe scientifique, Busch décida de s’entretenir avec Denise Sawyer. À ce moment-là, il voulait avant tout en apprendre le plus possible sur Axel, et s’assurer que Denise n’avait eu aucune part dans ce qu’on avait fait à David, quoi que ce fût.

« Elle s’est montrée agressive, comme avant », dit-il, « mais elle était nettement plus soucieuse alors, et sa résistance n’avait pas le même ressort que la première fois. Je l’ai laissée nous accuser de ne rien faire, moi et toute la police, ou de ne pas en faire assez, ou de n’être pas pleinement conscients de l’enfer qu’elle traversait. Quand elle a baissé la pression, je lui ai demandé ce qu’elle pensait d’Axel, de la manière dont il avait cessé de prêter attention au gosse, et lu son journal quand il aurait dû garder l’œil sur David.

Elle dit que c’était une merde inutile, qu’il l’avait toujours été, et que de toute façon elle projetait de divorcer. Je lui ai demandé depuis combien de temps, et elle m’a répondu des mois. Elle m’a dit qu’elle prendrait l’enfant avec elle, et puis elle s’est arrêtée net, et elle a commencé à pleurer : là, j’ai vu la différence, l’authenticité de la chose, un parent désorienté et épouvanté, qui ne voulait pas voir en face toutes les terribles éventualités. »

Busch laissa Denise pleurer un moment, puis il lui fit venir un café, lui offrit une cigarette, et lui demanda d’exposer tous ses plans de divorce. Elle sembla reconnaissante de pouvoir se confier à quelqu’un.

« La raison pour laquelle je m’étais absentée ces quelques jours », dit-elle à Busch, « c’était de voir l’homme avec lequel je projette de passer le reste de ma vie. Nous avons  fait nos projets, et il désirait ma présence pour être sûr que j’aimerais la maison qu’il achetait, et les meubles, tout ça. »

Busch lui demanda où elle avait rencontré cet homme.

« Je le connais depuis des années, depuis que j’étais gamine. Je l’aurais épousé avant s’il me l’avait demandé, mais il était trop jeune. Il le savait, et j’aurais dû le savoir aussi, mais quand j’ai réalisé qu’il ne voulait rien organiser avant d’avoir un emploi et une vraie maison, je me suis éloignée, et j’ai épousé Axel, juste pour avoir un mari. Imaginez-vous ça? Je l’ai payé, remarquez. Ce que j’ai eu, c’est ce qui me pendait au nez. Il n’est rien que je vous dise là que je n’aie dit à Axel : c’est un salaud et un vaurien. Il préfère rester au lit à faire quoi que ce soit. Il hait toute sorte de travail, et c’est un menteur chronique : il va vous dire un mensonge quand la vérité sonnerait mieux. Voilà le prince que j’ai épousé. »

Denise cessa brusquement de parler, et avala son café. Et puis elle regarda Busch et lui demanda s’il pensait qu’Axel ait fait quoi que ce soit au bébé.

« Pensez-vous qu’il soit capable de faire du mal à David? » demanda Busch.

« N’importe quoi de négatif, je pense qu’il en est capable. Je lui ai déjà demandé de tout me dire, s’il avait fait quelque chose de mal, il a fait une crise d’hystérie comme une fille, et m’a juré que David avait disparu dans le parc, que c’était arrivé exactement de la façon qu’il avait dit. Je ne sais pas si je le crois ou non. »

Busch, lui, croyait Denise. Il était à présent sûr qu’elle n’avait aucune part dans la tromperie d’Axel.

« Je l’ai fait amener par deux de mes hommes pour l’interroger plus avant. Je ne voulais pas abattre notre jeu, pas encore, pas avant de disposer de tout ce que les scientifiques pouvaient nous donner. Ce que je voulais, c’est voir comment il pouvait tenir le coup après un tel délai, et j’espérais aussi affaiblir un peu sa résistance. »

Axel parut méfiant cette fois-là, dit Busch, comme s’il suspectait la police d’en savoir plus qu’elle n’en faisait état.

« Je lui ai demandé de me dire, honnêtement, s’il avait une idée de ce qui était arrivé à son fils. Pour toute réponse, il s’est enquis de ce que cette garce avait raconté. Je lui ai demandé, impassible, de quelle garce il parlait. Sa femme, bien sûr, a-t-il répondu, elle l’avait traité de manière étrange, comme si elle ne croyait pas son histoire.

« Alors je lui ai dit : pourquoi ne nous dites-vous pas dès à présent ce qui est arrivé? Eh bien, il a fait une crise de fureur, ou une bonne imitation. Il a tapé sur la table et m’a hurlé que j’étais un sadique, de le traiter de la sorte alors qu’il était déchiré par ce qui était arrivé à son fils, à l’idée de ce qu’un pervers pourrait lui faire à cette minute même. »

Au bout d’une heure, Busch laissa Axel rentrer chez lui. À neuf heures le même jour, le Dr Don Hagan, surintendant du bureau de police scientifique, apporta la totalité des résultats de la fouille exécutée dans la maison Sawyer. La presquetotalité, se corrigea-t-il : ce scrupule signifiait qu’une nouvelle série de tests était en cours sur un objet trouvé dans les ordures. Le résultat parviendrait dans la journée du lendemain.

« Les faits qu’il m’a exposés étaient sinistres et assez déconcertants », dit Busch. « J’avais des vérifications à faire avant de pouvoir me sentir à l’aise pour accabler Axel avec toute la charge de ce que nous savions : j’ai donc décidé de procéder aux vérifications dans la nuit, avant de le tirer du lit au matin. »

Axel fut amené au poste de police à huit heures, les yeux troubles et la barbe non rasée. Il commença à brailler dès l’apparition de Busch, l’accusant de jouer les gros durs de flic pour cacher qu’il n’avait pas fait un pas pour retrouver David.

« Asseyez-vous et fermez-la », lui dit Busch. « Il y a quelques petites choses que j’ai à vous dire. » Il ouvrit un classeur sur le bureau devant lui. « Tout d’abord, je veux que vous appreniez, Axel, que nous savons que vous n’avez pas emmené David au parc ce matin-là. Vous avez été filmé par une video de surveillance, entrant seul dans le parc. Ensuite, nous savons, d’après les indices recueillis chez vous et l’interrogatoire assidu de vos voisins, que David n’a pas donné signe de vie pendant les trois jours qui ont précédé sa prétendue disparition. 

L’examen scientifique de votre maison a révélé une tache de sang sur l’abattant de la chaise de David, qui correspond à son groupe sanguin, tel qu’il figure dans son dossier à la Clinique Pédiatrique. »

À ce stade Axel tenta une interruption, et Busch lui répéta de la boucler. Un policier frappa à la porte, entra, et posa une autre chemise sur la table. « Résultat final des analyses », dit-il.

Busch lut le papier rapidement. Il lui fallut le relire pour être sûr d’avoir compris.

Il continua d’énumérer les faits à Axel. « L’équipe scientifique a prélevé un certain nombre de poils dans votre salle de séjour. Ils se sont révélés être des poils de chien, et un des techniciens a pris l’initiative de vérifier dans le quartier s’il y avait des chiens aux environs. Eh bien, vous n’avez pas besoin que je vous dise, Axel, qu’un doberman particulièrement vicieux habite à la porte à côté, et ce matin j’ai pu établir qu’à l’occasion il avait déjà passé la barrière qui interdit l’accès à votre maison.

On a aussi trouvé, à certains endroits de la garniture du canapé, et sur une chaise, des traces de sang. Nettoyées, invisibles à l’œil nu, mais néanmoins présentes, et analysables. De nouveau, ce sang correspond à celui du jeune David. »

Busch fit une pause et regarda Axel. Il avait les mains serrées sur les bords du bureau, et regardait fixement la jointure de ses doigts..

« Il y avait autre chose sur la moquette et la garniture, ainsi que sur le pourtour de l’évier de la cuisine », dit Busch. « Quelque chose qui a été identifié comme de la graisse. De la graisse humaine. »

Busch se rassit, ferma la première chemise, et tira la plus récente devant lui. « Et à présent, voici ce qui nous arrive : le labo me dit que les éléments prélevés dans les ordures, dans un sac à l’arrière de votre maison, ont été analysés hier, et se sont révélés être des débris d’ossements humains. »

Busch poussa les deux chemises de côté, et se pencha brusquement vers l’avant. « Vous ne vous en tirerez pas », dit-il à Axel. « C’est trop. D’une manière ou d’une autre, vous y êtes jusqu’au cou. Je vous conseillerais de me dire ce qui est arrivé à votre fils. Si vous ne le faites pas, je composerai une histoire pour cadrer avec les faits, et je m’en servirai pour vous enterrer. »

Axel commença à sangloter. Busch lui ordonna de cesser. « Contentez-vous de tout me dire, Axel, ne gaspillez pas davantage de mon temps. »

« C’était le chien », dit Axel.

« Le doberman du voisin?

– Ouais, Jasper. Il est entré dans la cuisine pendant que j’étais en haut; il arrivait parfois à passer la grille. j’ai essayé de clouer la lamelle desserrée, mais elle se desserrait de nouveau de temps en temps. Alors il est entré, et la première chose que j’ai entendue, c’est David qui hurlait. J’ai dévalé l’escalier : le chien l’avait plaqué au sol. Il le tenait par l’arrière du cou et le secouait. Il y avait du sang partout et quand j’ai frappé Jasper avec un balai, il a lâché David, et puis l’a saisi de nouveau, par l’épaule, et il y a eu encore plus de sang et de secousses : l’animal était comme fou. Je l’ai frappé entre les yeux, et il a filé dans le jardin.

J’ai fermé la porte d’un coup de pied et je suis revenu à David. Je ne peux pas vous dire dans quel état il était. Il était mutilé : son visage était complètement déchiré, il avait perdu un œil. Sa poitrine était grande ouverte. Il était juste là couché à gémir, les jambes agitées de tremblements. J’ai pensé : Seigneur, Denise va en être malade, elle va faire de ma vie un enfer. »

Axel s’enfouit le visage dans les mains. Busch lui dit de continuer.

« J’étais là debout à le regarder, à contempler la blessure, l’incroyable gâchis qu’avait fait le chien, et j’ai pensé de nouveau à Denise, me hurlant dessus, me mettant tout sur le dos, elle ne se serait jamais calmée…

Je suis allé au placard de l’entrée, et j’ai pris ma hache. Je suis revenu à la salle de séjour. David était toujours là, à gémir et à trembler, horrible et sanglant. Je l’ai frappé, fort, avec la hache, à la tête. Il gémissait toujours; alors j’ai commencé à tailler et à trancher, et même quand j’ai su qu’il était mort, j’ai quand même continué, je l’ai mis en morceaux. Et puis j’ai fait rentrer Jasper. »

Busch le fixa éberlué. « Vous l’avez donné à manger au chien?

– Je n’ai rien eu à faire. Rien ne l’aurait arrêté. » Axel fit une pause, alluma une cigarette. « Quand le chien a fini, il ne restait plus grand-chose. Et il y avait moins de gâchis par terre. J’ai jeté ce que j’ai pu dans les toilettes, j’en ai mis une partie aux ordures, j’ai nettoyé les lieux…

– Et deux jours plus tard vous êtes sorti, et vous avez prétendu que David avait été enlevé.

– S’il avait survécu », dit Axel, « il aurait eu une vie impossible. Et moi aussi. »

Plus tard dans la journée, on dit à Denise Sawyer ce qui était arrivé à son fils. Elle devint hystérique, et il fallut lui administrer un sédatif. Plus tard, elle déclara à Busch que si elle en avait un jour la possibilité, elle tuerait Axel.

« Je lui ai dit que je ne pensais pas qu’elle l’aurait. »

Axel Sawyer fut jugé pour le meurtre de son fils et condamné à 35 ans de prison, sans droit à la liberté conditionnelle pendant au moins vingt ans. [1]

 

 

 

1. Cette affreuse et sordide histoire est probablement inventée de toutes pièces, comme la plupart des autres, mais, sauf les aveux du père (qui pourrait tout mettre sur le dos du chien) elle sonne terriblement plausible. Solidarité de minables sans doute, mais je tiens à m’insurger contre l’approbation tacite, de l’auteur comme du flic, qui salue la sentence frappant Axel. D’abord, si on le suit (et il n’était pas du tout obligé, d’après le texte, de s’accuser lui-même d’avoir “fini le travail”), il s’agit d’un cas d’euthanasie. La solution se discute, mais 35 ans dont 20 incompressibles, c’est démesuré! Ensuite, qui sait comment aurait agi ce pauvre type s’il n’avait pas été terrorisé par sa mégère? Enfin et surtout, je ne comprends pas qu’on puisse passer sans même la mentionner sur la responsabilité du maître d’un chien meurtrier. Comment se fait-il, si ce doberman était connu pour “nasty”, qu’il ait pu continuer à sévir dans le voisinage? Il y a des dizaines d’“accidents” tous les ans, dont sont victimes des enfants, des vieillards, et exactement zéro agresseur ou cambrioleur. Si j’avais des gosses, et si un clebs blessait l’un d’eux, non seulement je casserais les reins du clebs, mais le proprio aurait intérêt, pour sa santé, à déménager et à dissimuler sa nouvelle adresse.

Commenter cet article